Je suppose que si vous êtes habitué à squatter votre baignoire, vous vous êtes souvent amusé avec la mousse de savon. Ce bidule qui ne ressemble à rien de connu, léger et volatile, rétif à passer par la bonde, a cependant bien d’autres qualités au sens de la physique.
C’est en effet un amas de bulles constituées d’air entouré par un film liquide et qui n’ont plus de sphériques que le nom du fait de leurs interactions avec leurs voisines. Dit autrement, il s’agit de compartimenter un gaz dans de petits contenants, leur entassement créant des surfaces entre deux bulles, des lignes entre trois bulles ou plus. Là où se concentre la matière constituée d’eau et de savon. Ces entités géométriques sont équipotentielles, en équilibre stable, la tension superficielle du liquide étant supérieure à la force de gravité. Elles sont de plus étanches entre elles.
Il se trouve qu’une des plus belles et récentes découvertes en astrophysique, celle de Laniakea, cet immense amas de matière dont notre galaxie fait partie, me rappelle un peu la mousse de savon où, cette fois, on constate que la matière entourant de colossales zones de vide, se répartit sur de grandes surfaces, s’écoule par la gravité sur leurs intersections où naissent les galaxies… Découverte en partie réalisée à Lyon par Hélène Courtois et son équipe en relation avec des astrophysiciens américains, dans les 2010’s.
Vous vous demandez certainement où je veux en venir, même en connaissant mon penchant pour les sciences du ciel.
Ou plutôt en revenir !
Cela fait un bon moment que je vous bassine avec l’évolution de nos sociétés humaines dont les structures anciennes sont battues en brèche par la domination sans partage de l’idéologie marchande tendant à les fragmenter à l’infini. Ajoutez à cela le constat d’une montée sans précédent de l’individualisme poussé à l’extrême au point que plus personne n’est concerné par rien plus de cinq secondes, avant de passer à autre chose.
Cette fragmentation et cette volatilité me font repenser à la mousse de savon où nous serions chacun dans notre bulle, séparés des autres par la mince paroi de notre indifférence à leur sort. Que dire aussi de la solidité de l’ensemble, sensible au moindre frémissement du vent de l’histoire ?
L’image de la mousse de savon me semble tout à fait appropriée pour décrire ce que nous devenons, au final, après la destruction des structures intermédiaires liant la société comme tout et les individus qui la composent. La tendance du moment est à la démolition de toutes ces formes d’organisation et à la disparition des interactions amortissant les rapports sociaux.
Il en découle une rugosité croissante et une tyrannie du premier degré dans la vision du monde et des relations avec les autres. Comme nous sommes envers et contre tout des animaux sociaux, nous ne pouvons pas nous empêcher de réinventer la poudre et de recréer des groupes de circonstance pour faire société quand même, mais de façon irréfléchie et de toute façon sans le moindre recul, autour de trucs à la mode aussi interchangeables que fugaces. D’où une dictature du présent dans un contexte où rien n’a de pérennité ni d’avenir.
L’image de la mousse de savon me semble aussi pertinente pour décrire ce qu’on nomme la charge mentale qui désintègre notre conscience façon puzzle à force d’entasser des contraintes incompatibles entre elles et de disperser notre attention dans d’innombrables futilités en détruisant notre réflexion par manque de concentration, noyée dans un volume monstrueux d’insignifiants.
Mais encore, on pourrait même imaginer représenter l’histoire du monde sous cette forme, les lieux sur les plans en x et y, le temps sur l’axe z, cela permettrait d’imager en trois dimensions les interactions entre les cultures proches et lointaines, les disparités de leur tailles et leur succession dans le temps ! Bon, qui s’y colle ? Une bonne image vaut mieux que de longs discours, que je vais arrêter là ! Mais pas avant de me dire qu’elle est pertinente pour décrire tout ce qui doit faire volume à partir de rien ou presque, au prix du manque de cohésion et de résistance aux vents mauvais…