Je viens de lire avec grand intérêt un article de Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences, publié dans le n°65, été 2024, de la Revue XXI (pages 162 à 171).
J’ai découvert à cette occasion que certaines notions, à mes yeux allant de soi, avaient besoin d’être formalisées et expliquées avec soin tant il semble que leur évidence ne soit pas partagée également.
Ici, celles qui relèvent de ce que j’appellerai la coexistence des innovations.
L’Humanité n’a jamais cessé d’innover depuis qu’elle a levé le nez il y a bien longtemps, dans la savane africaine. Innover, c’est mettre en question us, coutumes et moyens établis pour en adopter de nouveaux ou de meilleurs, sous la pression d’une curiosité infinie et grâce à une intelligence croissante caractérisée par une aptitude à évoluer et à s’adapter à toutes les situations rencontrées.
Nous avons tous appris par quelles grandes étapes nous sommes passés pour en arriver à état actuel. Une succession d’exploits philosophiques, scientifiques, techniques, artistiques au fil du temps nous ont permis, dans une quête qui restera sans fin, d’améliorer nos conditions de vie, nos savoir-faire, notre compréhension du monde autour de nous, jusqu’au bout de l’univers.
Mais contrairement à ce que nous avons tendance à croire, cette évolution n’est pas purement séquentielle. Si des marches importantes sont franchies, elles coexistent avec les sentiers ouverts auparavant dans la même direction et qui se révèlent dans certains contextes, toujours aussi pertinents si on les considère dans une grande vue d’ensemble.
Pensez aux transports. Aujourd’hui, on se déplace à pied, à dos de mulet, en charrette, en train, en voiture, en avion, chaque moyen est approprié à la société concernée, au lieu, aux moyens disponibles. Quand on a inventé le train, on n’a pas supprimé les charrettes et les diligences ! Et cela vaut pour toutes les innovations ! On voit même les microsillons faire un retour spectaculaire face aux CD qui font de la résistance contre le streaming, l’écoute en ligne. Il y a toujours de bonnes raisons à ça !
Il est d’autant plus stupéfiant de constater en ce moment à la ruée des fabricants d’automobiles sur la motorisation électrique au détriment du moteur à explosion sachant qu’ils foncent ainsi dans un cul de sac de l’évolution tant qu’on aura pas inventé un moyen efficace de stocker de l’électricité sans compter sur des ressources naturelles rarissimes.
Une bonne question à se poser : pour quelles raisons innove-t-on ?
Depuis la nuit des temps, pour survivre dans de meilleures conditions, avec moins de contraintes et de risques, en un mot pour profiter de la vie.
Hélas, depuis peu à l’échelle du temps de l’histoire longue, on innove aussi pour amasser un maximum d’une marchandise très particulière nommée l’argent ! Ce genre d’innovation a le plus souvent aucun intérêt au sens premier du terme. Pourtant c’est celui qui s’est imposé à coups de propagande et de lobbying effréné, dont la manifestation principale se nomme croissance. Mais croissance de quoi ?
C’est ainsi que certaines nouveautés qui chassent de plus en plus vite les précédentes, n’apportent aucune amélioration en dehors de celle de la rentabilité qui ne profite qu’à très peu. Leur jet continu conduit à entretenir une frustration permanente et une grande difficulté à les mettre ne œuvre, nous ne sommes pas des robots programmables à volonté.
Petit exercice : essayez de réfléchir à l’avantage apporté par un quelconque artefact par rapport à sa version plus ancienne. Vous comprendrez vite que vous avez fondu dessus pour des raisons n’ayant rien à voir avec une quelconque amélioration du service attendu ! Et que le vieux truc que vous avez jeté marchait souvent mieux que le bidule up to date qui vous a couté un bras avec ses promesses de faire papa-maman alors que vous n’en demandiez pas tant. Effectivement, on se dit toujours que qui peut le plus peut le moins. Mais à quel prix, en argent, en complexité, en ressources, en temps de travail ?
Cette coexistence des innovations que nous pouvons tous constater est cruelle pour la course consumériste qui assassine notre planète et encombre nos placards. Pourquoi ? est toujours une bonne question face aux tentations.