Quelle nuit ! J’ai fait un rêve que je pourrais qualifier d’étrange et pénétrant au risque de plagier honteusement Verlaine.
Arrivé sur les pas de Morphée dans une contrée à la fois familière, et inconnue, je me suis retrouvé dans un monde affairé mais paisible, entouré de gens souriants et aimables qui m’ont aidé à connaitre ces lieux et leurs coutumes.
Ils m’ont dit que personne ne dictait aux journalistes ce qu’ils avaient à dire, qu’on pouvait aller partout sans demander à personne, qu’on pouvait dire ce qu’on pensait et écouter ce qu’en pensaient les autres, qu’on pouvait croire à qui on voulait sans que quiconque n’impose ses croyances par la force, qu’on était libre de vivre selon ses inclinations intimes sans qu’elles n’indisposent qui que ce soit, qu’on pouvait choisir ceux qui allaient diriger l’état, qu’on était éduqué et soigné gratuitement, qu’on était protégé par une police et une justice indépendantes de l’exécutif politique et qu’on participait à la défense de ce paradis à la mesure des moyens de chacun.
Je me suis dit qu’il me ferait bon vivre dans cette utopie avant de me réveiller en sursaut en réalisant subitement que je venais de rêver de mon pays, la France. Mais comme toujours en revenant à la réalité, les grandes idées perdent de leur superbe, je me suis rapidement dit que cette France-là était bien théorique. Hélas.
Dans la réalité, je pourrais désespérer en observant les journalistes plus ou moins muselés par les actionnaires de leurs médias, en n’osant plus aller où je ne fais pas couleur locale, en me taisant pour ne pas prendre le risque de déplaire, en évitant soigneusement de parler religion sans gilet pare-balle, en occultant mon intimité, en votant pour des menteurs qui allaient faire l’inverse de leurs promesses, en devant peut-être payer pour une meilleure éducation de mes enfants et pour être mieux soigné, en craignant la police et les tribunaux suivant les circonstances, en regrettant que personne n’ai plus la moindre idée de l’esprit de défense nécessaire à la pérennité de la société…
Je pourrais, oui, et encore, je n’ai pas évoqué les insensées disparités de traitement des individus devant la loi, les impôts, les savoirs…
En fait, non, je ne désespère pas, pour la simple raison que le pays dont j’ai rêvé existe bel et bien, caché sous un faisceau d’intérêts privés farouchement tenus par leurs bénéficiaires. Ce pays existe bien, il est doté de toutes les lois permettant d’aller vers plus de liberté, d’égalité, de fraternité, d’équité, de laïcité. Le chantier est suffisamment avancé pour que l’édifice soit habitable et plus que cela, accueillant.
D’ailleurs, ceux qui le voient de loin et rêvent d’y vivre l’ont bien compris à contrario de ses habitants qui passent leur temps à râler et à se déchirer pour des futilités comme s’ils redoutaient d’exiger le simple respect des principes et lois existants et de leur application dans la vie courante, sans rien céder aux sirènes de puissants aux moyens corrupteurs infinis, à la détermination sans faille dans la défense de leurs intérêts mais élus par personne et illégitimes à imposer quoi que ce soit.
Mon rêve est une réalité, nous évoluons dans un des derniers coins vivables de cette planète sans oser l’admettre, comme si on en avait honte alors que nous devons cette situation à notre longue histoire, aux sacrifices et aux talents de ceux qui nous ont précédé, de ceux qui ont œuvré inlassablement pour nous mener du servage et de l’obscurantisme à ce que nous pouvons être aujourd’hui.
Si nous admettons enfin la chance que nous avons, proclamons-le haut et fort et, quitte à nous faire violence, agissons collectivement pour sortir de la dépression politique qui nous colle au sol.
Si tel n’est pas le cas, ayons au moins la pudeur de rejoindre les gros bataillons des asservis en silence !