En bon capitaliste des connaissances, omnivore de surplus, je m’inquiète de plus en plus de ce que me rapportent les nombreuses newsletters atterrissant dans ma boite mail : plus de perspectives alléchantes de concerts, de publications, de sciences, plus rien de tout ce qui faisait leur intérêt.
Non, plus rien qu’un piteux cortège d’annonces plus sinistres les unes que les autres, annulations des spectacles, fermetures des musées et des cinémas, etc. mais hélas surtout, des appels à l’aide désespérés d’innombrables structures souvent prestigieuses par ce qu’elles apportent au monde culturel et qui, en une seconde, ont été abattues par le confinement et l’incertitude de sa fin.
Au premier abord, c’est moins grave et urgent que la montée soudaine de la misère et de la faim dans une part de la population ne survivant déjà que d’expédients en temps « normal ».
Mais, à la réflexion, même si cela ne relève pas des vies humaines en danger, c’est bien plus grave.
Vous êtes-vous déjà posé la question suivante : que restera-t-il de nous dans x milliers d’années ?
Pour voir ce futur il me semble opportun de nous tourner vers ce que nous savons de notre passé : que reste-t-il de nos ancêtres, même des plus lointains ?
La réponse est claire : des peintures, des sculptures, des palais de pierre, des poésies, etc. Toutes choses qu’on nomme art ! Pour ce qui est des idées, des rois, de la politique, de la vie quotidienne, tout passe par les moyens de l’art, l’ensemble formant une culture.
Qui connaitrait les noms des pharaons s’ils n’étaient pas gravés dans la pierre ? Qui aurait la moindre idée de ce qui se passait au rude temps des mammouths si ce n’était peint sur les parois d’une caverne oubliée ? Que reste-t-il de la civilisation grecque à l’origine des nôtres sinon des ruines magnifiques, de la philosophie, de la poésie, des sciences, des objets ouvragés de la manière la plus précieuse ? Quelle idées pourrions-nous avoir des celtes et des vikings sans les objets à eux précieux déposés dans les tombes ?
Au-delà de sa part volatile qui nous échappera à jamais, on pourrait définir la culture comme ce qui reste de nous dans les siècles, un instantané de nos mondes intérieurs figé sur des supports dépassant notre finitude pour défier le temps, la mémoire de nos sociétés.
Sous cet angle, qu’en sera-t-il de nous ? Des tronçons d’autoroutes, des carcasses d’avions, des pylônes écroulés, des tas de béton effrités et informes ? Où sont nos grottes, nos tombeaux ? Notre dévotion croissante au Cloud et au virtuel nous aveugle sur la pérennité de nos immenses savoirs après la fin de l’électricité.
Pire encore, si à la suite d’un accident de parcours tel que cette pandémie, la production d’art et d’idées s’effondre au nom de l’urgence, de la survie et d’une idéologie de court terme, que deviendra le sens de la vie dans un monde sans surprise, contrôlé de toutes parts, campé sur l’utilitaire et oublieux des vertiges de l’inutile ? Métro boulot, dodo.
Alors, même en prenant des risques, revenons au contact de la culture, soutenons ses expressions les plus fragiles et les plus éphémères, osons nous en mêler et participer ! N’abandonnons pas ce qui fait notre singularité, jamais.
Histoire d’enfoncer le clou, rappelons-nous ce qu’avait répondu Winston Churchill, au pire moment de la Bataille d’Angleterre, à un de ses proches qui lui conseillait de récupérer le budget de la Culture pour acheter des armes : « Mais alors, pourquoi nous battons-nous ? ».
Nos dirigeants du moment l’ont-ils compris, eux qui placent depuis longtemps la culture en queue de rame ? J’en doute et comme d’habitude, ignorant les multitudes de buissons ardents où prolifère le génie humain, ils ne viendront en aide qu’aux grandes idoles pour grappiller quelques miettes de gloire et de lumière, leur fonction première.