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Source : CNIL

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Demain se présente comme un documentaire. Il est sorti en salle le 2 décembre 2015. Il a dépassé le million de spectateurs et il a reçu un accueil triomphal.

La raison d’être du film, c’est que « partout dans le monde, des solutions existent. » Le film fait le tour de ces solutions et invite les spectateurs à s’en inspirer. À notre tour, faisons le tour du film, voyons quelles sont les solutions proposées et ce qu’elles donnent.

Le film débute en présentant quelques personnalités qui s’inquiètent du réchauffement climatique et de l’augmentation de la population mondiale. Il en découle, selon les auteurs, que « c’est par la nourriture que les civilisations peuvent s’effondrer. Et là où notre modèle économique et industriel s’est déjà effondré, comme à Détroit aux États-Unis ou à Todmorden en Angleterre, c’est grâce à la nourriture que les habitants ont commencé à inventer une nouvelle histoire, à la fois pour vivre mieux mais aussi pour survivre à ces types de chocs. »

Mais de quels chocs s’agit-il donc ? À suivre la logique de cette présentation, il s’agirait de chocs écologiques. Il n’en est bien sûr rien. Si Détroit est une ville sinistrée, ce n’est pas parce qu’elle aurait subi une catastrophe écologique. C’est que dans le cadre de la mondialisation du capitalisme, l’industrie automobile a été délocalisée pour détruire les organisations syndicales, pour réduire considérablement les salaires et pour augmenter les profits.

Voici comment Demain relate cette histoire :

« Entre 1960 et aujourd’hui, Détroit est passé de deux millions à sept cents mille habitants. La ville était une sorte de monoculture industrielle avec l’essentiel des emplois dans l’automobile. Quand le secteur a fermé, tous les emplois se sont envolés et une bonne partie des habitants avec. » Présenté ainsi, évidemment, cela ressemble à un désastre naturel.

« Non seulement les bâtiments ont été abandonnés, mais il est devenu presque impossible de trouver des produits frais. » Quelle est la solution donnée à ce problème par Demain ? La lutte contre la mondialisation et les délocalisations ? Que non ! Dès ce premier reportage, on comprend qu’il ne sera jamais question de s’attaquer aux inégalités sociales et à la monstrueuse domination des plus riches : « Alors ceux qui n’avaient pas quitté Détroit, essentiellement les habitants les plus pauvres, se sont retroussé les manches et ont décidé de faire pousser eux-mêmes leur nourriture. »

Avaient-ils un autre choix ?

Cela s’était déjà fait à Détroit ! Sauf que c’était pendant la guerre :

Jardin urbain à Détroit pendant la Seconde guerre mondiale

Et voici le Jardin du Luxembourg, à Paris, en aout 1943 :

Et Berlin en 1946 :

La différence avec cette époque, c’est qu’il n’y a pas eu de guerre pour apporter la pauvreté et la misère, que c’est le capitalisme seul qui est responsable, mais chut…

La brillante “solution” proposée par Demain, c’est de vivre comme en temps de guerre, sauf qu’il n’y a pas la guerre.

Demain nous emmène ensuite en Angleterre à Todmorden, à la rencontre d’une association, Incredible Edible. Encore une fois, c’est présenté de telle façon qu’on ne sait pas si le problème est écologique ou économique et social. La solution est de planter des fruits et des légumes dans toute la ville. Dans le film, tout semble merveilleux. Un élu local vend la mèche : “Local government and agencies are getting smaller, there is less money and it’s a solution.” « La municipalité et les instances locales ont de moins en moins de ressources, il y a moins d’argent et c’est une solution. » La voilà la “solution” : s’adapter à la misère pour que les plus riches raflent tout ! Mais est-ce que ça fonctionne ?

Un rapport officiel, Todmorden Vital Signs a été publié en juillet 2016 et fait le point de la situation.

Todmorden est la localité de la région (Calderdale) où il y a le moins de volontaires pour des activités solidaires — seulement 60 sur une population de 12 000 habitants. La santé est la plus mauvaise de toutes les communes environnantes, de même que le taux de mortalité est de loin le plus élevé. Le nombre d’actes antisociaux et criminels répertoriés est le plus élevé de tout le district, 319 en 2015. Le nombre d’acte de violence, rapporté à la population, est le double de celui de la région. L’obésité des enfants est largement supérieure à la moyenne.

Voilà la réalité de Todmorden. On est loin, très loin des images d’Épinal présentées par Demain. Sur place, l’association Incredible Edible prend acte du rapport. Sa réponse est sirupeuse : « Incredible Edible prend des mesures positives, fondées sur la gentillesse et le partage, l’éducation et le soutien au commerce local pour essayer d’améliorer notre ville et pour construire une société plus résiliente. » Ça ne marche pas, mais on continue !

Entendons-nous bien. Je suis un jardinier amateur enthousiaste. En tant que directeur d’école, j’avais initié la création d’un jardin scolaire qui fonctionnait. Mais je n’ai jamais présenté cela comme une solution à des problèmes politiques, économiques, sociaux ou environnementaux, même si cela peut faire partie de la solution à la condition que les causes fondamentales aient été traitées, ce qui n’est ni le cas à Détroit ni à Todmorten.

Après l’agriculture, Demain traite de l’énergie et nous emmène au Danemark. Et voici une nouvelle solution : les éoliennes. « En 2025, Copenhague sera totalement autonome en énergie renouvelable, et en 2050 l’objectif est d’y parvenir pour tout le Danemark » assure le documentaire.  Malheureusement, depuis la sortie du film, cette “solution” aussi a fait plouf. Le 13 mai 2016, le gouvernement danois a décidé d’arrêter la construction de cinq nouveaux parcs éoliens et de mettre fin à sa politique d’énergie renouvelable, trop couteuse et entravant la compétitivité de l’économie danoise. Eh oui : la “solution” ne vaut que tant qu’elle n’entre pas en contradiction avec le libéralisme !

Après quelques détours, nous voici à San Francisco. San Francisco recyclerait 80 % de ses déchets. L’objectif était d’atteindre 100 % en 2020. Les habitants disposent d’une poubelle verte pour ce qui est compostable, d’une poubelle bleue pour les emballages et d’une poubelle noire pour le reste.

Ce qui n’est pas dit, c’est que San Francisco est la troisième ville la plus riche des États-Unis par habitant. Ce qui est applicable dans une ville prospère ne l’est pas forcément ailleurs. Pourquoi ? Parce que pour recycler les déchets, encore faut-il que les habitants les trient. La motivation financière, qui est le principal argument employé par la ville, ne fonctionne que si les habitants ont quelque chose à perdre. Sinon, il faut qu’ils soient motivés.

Et même San Francisco n’est pas épargné par la montée des inégalités sociales et l’indifférence au sort commun qui l’accompagne. En fait, depuis 2012, la quantité d’ordures non recyclées remonte continuellement. Actuellement, 600 tonnes d’ordures sont recyclées quotidiennement et 650 tonnes sont enfouies. On est très loin des 80 % clamés dans Demain.

La municipalité et la compagnie privée Recology incriminent la population. À la fin de leur journée de travail, les employés des restaurants jettent dans les poubelles vertes les bouteilles et les boites de conserve, ainsi que leurs gants de travail. Mon interprétation : ils sont crevés, ils s’en foutent.

On trouve de tout dans les déchets compostables : des poêles à frire, des chaussures de tennis, des bandes magnétiques, des tuyaux d’arrosage. D’ailleurs, que nous montre Demain pour illustrer comme le tri sélectif, c’est bien ? Un monsieur âgé qui jette dans une poubelle verte des déchets enveloppés dans un sac en plastique. Ces sacs en plastique non seulement ne sont pas compostables mais se collent aux pièces mobiles de la machinerie, provoquant des bourrages.

Encore une fois, on nous présente comme une solution ce qui pourrait être un élément d’une solution dans le cadre d’un changement global de système économique et social. Cela se heurte très vite aux limites du système libéral et ceux qui, comme Demain, prétendent le contraire sont obligés de travestir la réalité.

Puis Demain nous fait visiter l’entreprise Pocheco, dans le nord de la France. Le patron, Emmanuel Druon, maudit le capitalisme financier : « En gros, l’entreprise capitaliste de ce début de siècle, elle est infectée par la financiarisation du capitalisme. C’est-à-dire : il faut d’abord rémunérer des actionnaires. Il faut d’abord que les actionnaires s’enrichissent. »

« Nous, ici, on a considéré que l’actionnaire, ça va, il a pas besoin de plus. Par contre, l’usine, elle a besoin tout le temps d’investissements. »

Quelle est la “solution” ? Elle est que l’actionnaire veut bien ne pas chercher à s’enrichir davantage.

Demain ne nous révèle pas qui détient le capital de Pocheco. Le capital social de l’entreprise et de trois millions et demi d’euros. Emmanuel Druon est aussi le dirigeant d’une société de holding à associé unique qui dispose d’un capital social de 37 000 euros. Cela laisse supposer qu’il est l’actionnaire principal, sinon unique, de Pocheco, ce qui lui laisse toute latitude pour décider de ce qui revient ou pas aux actionnaires.

Les 114 salariés n’ont aucune part dans sa décision, qui peut être retournée du jour au lendemain. Probablement pas par monsieur Druon ; mais qu’en sera-t-il de son successeur ?

Autrement dit, il s’agit d’une “solution” qui ne concerne que des personnes disposant de plusieurs millions d’euros et qui est éphémère.

Nous repartons en Angleterre où Rob Hopkins a découvert que l’économie locale est plus efficace que l’économie mondialisée. Quelle solution propose-t-il ? En finir avec la mondialisation ? Sortir de l’Europe ? Vous n’y êtes pas ! (En fait, lors du référendum britannique, Rob Hopkins s’est prononcé pour le maintien dans l’Union Européenne.) La solution serait de créer une monnaie n’ayant de valeur que dans une seule localité.

Pour emporter la conviction, Demain montre comme il est facile d’utiliser une monnaie locale : « Effectivement, c’était super facile. Il suffisait d’aller dans un des commerces qui échangent des livres sterling en Bristol pound et on pouvait les utiliser dans plus de 600 magasins, restaurants et entreprises de la ville. On pouvait payer avec les billets ; on pouvait même payer en faisant un texto. » Au petit jeu de la facilité, il y a encore plus simple : on ne va pas dans un commerce qui échange les monnaies. On paye avec des livres sterling dans 600 magasins, restaurants et entreprises de Bristol. Et dans les milliers d’autres de tout le Royaume-Uni. Et quand on quitte Bristol, on n’a pas besoin de reconvertir ses Bristol pounds en livres sterling.

« Il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre » disait Einstein. Tel n’est pas l’avis des réalisateurs de Demain. Bernard Lietaer a créé l’ECU, ancêtre de l’euro. Il a été un des plus grands spéculateurs du monde à la fin du siècle dernier. Et c’est à lui que s’adresse Demain pour savoir ce qu’il faudrait faire. Ô surprise ! Ce grand adepte de la mondialisation et des fonds spéculatifs est aussi un chaud défenseur des monnaies locales. Il explique : « On peut apprendre ce qui fonctionne dans un écosystème naturel et l’appliquer directement à l’économie. Et qu’est-ce que tous ces écosystèmes extrêmement divers ont en commun ? C’est de ne pas permettre une monoculture. Il faut une diversité. Pour moi, nous avons besoin de l’euro, nous avons besoin même d’une monnaie mondiale qui n’est pas la monnaie nationale de quelqu’un et nous avons un besoin pour une monnaie pour votre quartier. C’est ça, un écosystème. »

Suivent quelques minutes d’images idylliques dans le paradis terrestre, la forêt primaire de Belouve à La Réunion, parcourue par les réalisateurs du film, béats d’admiration. Musique douce avec une voix angélique. On cas où vous n’auriez pas bien percuté, un encart explique : « écosystème avec plus de 1000 espèces animales et végétales ». Pas le moindre moustique à l’horizon, porteur ou pas de chikungunya.

L’analogie 1 monnaie = 1 espèce vivante est un argument de bonimenteur. Le cycle de l’eau est le même à La Réunion qu’ailleurs ; l’atmosphère est la même que sur toute la Terre.

32 monnaies ont maintenant cours en France. L’économie est-elle plus diversifiée qu’il y a cinquante ans, quand il n’y avait que le franc ? Certainement pas, c’est exactement l’inverse qui est vrai.

Demain réussit à faire croire le contraire par des moyens de propagande extrêmement sophistiqués.

Il faut bien imaginer des solutions politiques. Demain nous emmène en Islande.

« Le 26 janvier 2010, après des mois de combats, premier ministre, gouvernement et directeur de la Banque centrale démissionnent. Et, contrairement aux États-Unis ou à la France, les citoyens ne renfloueront pas les banques qui avaient spéculé avec leur argent. Puis, au lieu de rentrer chez eux et d’attendre que les élus reprennent les choses en main, un mouvement s’organise pour faire en sorte que ce qui s’est passé entre les politiques, les banquiers et les grandes entreprises ne puisse plus se reproduire. »

Encart : « Le 6 novembre 2010, 1 000 citoyens tirés au sort se réunissent afin de définir les grandes priorités du pays ».

Suit un reportage sur la façon dont une nouvelle constitution a été élaborée par ces citoyens tirés au sort.

« En juillet 2011, le “groupe des 25” remet le projet de constitution au Parlement, un texte dans lequel le pouvoir des politiques, des entreprises et des banques est encadré par les citoyens.

Trois mois plus tard, un référendum consultatif est organisé et les Islandais votent oui à 67 %. Désormais, c’est aux députés d’entériner le texte. Mais les conservateurs le bloquent, et cela fait maintenant quatre ans. À cause des institutions, ce sont encore les élus qui ont le pouvoir en dernier ressort de valider ou non ce que la population a décidé, et dans ce cas précis, ils sont allés contre sa volonté. »

Nul besoin de connaitre la vie politique islandaise pour se rendre compte que quelque chose cloche dans cette histoire ; un peu de bon sens suffit. L’Islande n’est pas une dictature ; les élus ont bien été élus par ce peuple qui, parait-il, voudrait cette nouvelle constitution.

En réalité, aux élections du 27 avril 2013, les Islandais ont donné la majorité au Parti de l’Indépendance et au Parti du Progrès qui étaient hostiles à la nouvelle constitution.

La “solution” islandaise avait déjà fait flop avant que le film ait été tourné.

Le 5 avril 2016, le Premier ministre, Sigmundur Davíð, a démissionné de son poste après que sa corruption ait été révélée dans les “Panama Papers”. Des élections législatives anticipées auront lieu le 29 octobre prochain.

Lors de la discussion de politique générale du 27 septembre 2016 au Parlement, seul le parti Pirate a mentionné le projet de nouvelle constitution et l’a soutenu. Pour l’instant, les sondages lui prédisent 19 % des voix aux prochaines élections.

La “solution” Demain n’a donc rien changé en Islande et ne présente aucune perspective de changement.

Qu’à cela ne tienne ! Demain veut nous persuader qu’un problème politique — l’exercice de la démocratie — peut être réglé grâce à une astuce. Demain donne la parole à David Van Reybrouck : « Il y a une deuxième formule pour créer une représentation du peuple, c’est pas à travers les élections, procédure aristocratique, c’est à travers le tirage au sort. Nos sociétés connaissent encore le système de tirage au sort dans un domaine extrêmement limité, c’est-à-dire les jurys d’assises. […] On voit que, presque toujours, les douze jurés prennent très au sérieux leur devoir. Ils s’investissent énormément pour prendre une décision qui sert la société. Les gens qui sont tirés au sort ont peut-être moins de compétences que les élus politiques — ça c’est vrai. D’autre part, ils ont une liberté qui est plus grande que la liberté d’un député. »

Encore une analogie foireuse. Toutes les personnes susceptibles de devenir jurés ont lu des romans, ou vu des films, ou des téléfilms. Toutes savent ce que c’est, l’amour, la jalousie, un enlèvement, un viol. Toutes comprennent de quoi on parle pendant le procès. Aucune n’a un intérêt particulier à ce que l’accusé soit condamné ou innocenté.

Il en va tout autrement quand il s’agit de décisions politiques. L’immense majorité des gens n’ont que des connaissances superficielles en économie et ne comprennent pas comment ça marche. Et elles ne risquent pas de les acquérir en un quart d’heure.

En même temps, elles sont impliquées, directement ou indirectement via leur famille et leurs amis, dans les décisions qui seront prises. La neutralité en politique n’existe pas.

Enfin, le contexte dans lequel aurait lieu le tirage au sort des représentants est passé sous silence. On oublie que José Barroso, Président de la Commission européenne de 2004 à 2011, travaille pour la banque Goldman Sachs. Ce n’est que le symbole le plus éclatant de la corruption généralisée qui prévaut dans le système libéral — plus on monte dans la hiérarchie, plus la corruption est grande.

Qu’est-ce que ça voudrait dire, pour un citoyen, être tiré au sort pour représenter le peuple ?

Bingo ! Mieux que le gros lot, gagnant sans même avoir acheté un billet !

Le tiré au sort serait aussitôt entouré d’une nuée de conseillers aux arguments d’autant plus convaincants que leurs attaché cases seraient bien garnis. Son épouse, caissière dans un supermarché, deviendrait aussitôt directrice de ce supermarché. Son fils qui végète depuis cinq ans de petits boulots en petits boulots recevrait instantanément des offres plus tentantes les unes que les autres.

Comment croire qu’il pourrait en être autrement dans un monde individualiste ?

Et nos professeurs de philosophie y verraient la confirmation qu’on a essayé de donner le pouvoir au peuple, mais, hélas, que cela a encore fait la preuve que l’Homme est mauvais.

Ça les arrangerait bien d’oublier que, quand on veut résoudre un problème économique, il faut prendre des décisions économiques ; que quand on veut résoudre un problème politique, il faut prendre des décisions politiques, au lieu d’éviter de penser les problèmes et de chercher des astuces.

La démocratie, c’est le pouvoir du peuple. Faire vivre la démocratie, c’est donner plus de pouvoir au peuple, l’impliquer davantage. C’est tout à fait possible si on veut bien y réfléchir sérieusement et si c’est vraiment le but recherché.

Heureusement, il n’y a pas que le tirage au sort. Demain nous présente une autre “solution” : le miracle. « Des citoyens qui se mettent au service de la société, qui participent au jour le jour à la démocratie, c’est aussi ce que nous avons vu à l’autre bout du monde, près de Chennai. »

« On nous avait parlé d’une expérience de démocratie locale Révolutionnaire dans le village de Kuthambakkam. »

En quoi consiste cette “démocratie locale Révolutionnaire” ? « Les habitants […] se réunissent en assemblée citoyenne pour prendre ensemble les décisions. » Une sorte de Nuit Debout, quoi. Nous assistons à une telle assemblée, le gram sabha.

Une petite centaine de femmes et d’enfants écoutent le maire. Un autre homme, plus âgé, semble aussi avoir une place prééminente face à la foule.

Dans le reportage présenté, personne d’autre que le maire ne parle. En voilà, une démocratie Révolutionnaire ! Et là, miracle : « Et une fois le programme adopté, tout le monde s’active pour le mettre en place. Les habitants nettoient le village […] »

« Et l’on relève des fonds pour créer des emplois qui bénéficient maintenant à des centaines de femmes. Rapidement, elles créent une fédération, et avec leurs salaires, mettent en place un système de microcrédit pour prêter à d’autres femmes qui désirent lancer leur activité. »  Musique guillerette.

C’est bien connu : quand vous avez créé votre entreprise et que vous récoltez les premières rentrées d’argent, la première chose à laquelle vous songez, c’est de le prêter à d’autres qui deviendront vos concurrents.

Depuis la sortie du film, des chercheurs ont montré que le microcrédit appauvrit les populations.

« Tout le monde s’y met, y compris les hautes castes, et en quelques mois, 150 maisons en matériaux locaux et écologiques sont construites. » Quel dommage, on ne voit pas ces membres des hautes castes travaillant aux côtés des intouchables !

« Quand les citoyens ont du pouvoir, ils construisent une belle démocratie » assure le maire en conclusion.

On subodore que ce monde de bisounours n’existe que dans l’imagination des producteurs de Demain. Qu’en est-il ?

J’ai été perplexe en recherchant des informations sur Kuthambakkam. Ce que je trouvais, à commencer par Google Earth, n’a guère de rapport avec le village bucolique présenté par Demain. Y aurait-il plusieurs Kuthambakkam ? Pourtant, c’est bien une localité proche de Chennai (autrefois Madras), c’est bien le même maire, Elango…

Il se trouve que Kuthambakkam est traversé par l’autoroute 48 qui relie Chennai à Bangalore. C’est le siège de l’université Saveetha et de plusieurs autres établissements universitaires (Apollo Arts and Science College, DMI College of Engineering).

Et pour ce qui est d’y construire, on y construit. Mais pas des habitations pour les pauvres, brahmanes et intouchables partageant les mêmes truelles.

La révolte des habitants — et du maire — a été vaine contre les projets des promoteurs immobiliers. Cela a commencé en 2006 ; les réalisateurs de Demain étaient donc parfaitement informés, même s’ils n’en soufflent mot.

Ces terres agricoles étaient si fertiles qu’elles donnaient trois récoltes de paddy par an. Qu’importe ! Par l’autoroute, Kuthambakkam est à 25 km de Chennai. Mille familles ont été chassées de leurs terres.

Voici la publicité d’un des nombreux projets immobiliers :

« Bienvenue au Paradis de Romaa. Une constellation spectaculaire de 272 appartements de luxe dans la localité en pleine croissance de Kuthambakkam, à 1 km de l’accès à l’autoroute. [Suit un descriptif des logements] Les appartements du Paradis de Romaa abritent une vaste gamme d’équipements de charme et de fonctionnalités innovantes qui vous rapprocheront du meilleur de ce que la vie a à offrir ! »

Pour en savoir plus, regardez cette publicité. Oui, c’est bien le même “village”, Kuthambakkam, que celui qui est présenté dans Demain !

La “solution” démocratie aussi locale que miraculeuse ? Encore un flop, encore un mensonge.

Le film se termine par un chapitre sur l’éducation. Demain nous emmène dans une école de la banlieue d’Helsinki. Pour avoir passé plusieurs semaines dans différentes écoles finlandaises, je confirme ce qui est montré dans le reportage. Il y a cependant un problème.

Un encart apparait : « Entre 7 et 16 ans, tout est gratuit pour les écoliers finlandais : les livres, les soins de santé et même la cantine… » Pas seulement : les transports scolaires, les voyages scolaires aussi. Je précise que les manuels scolaires sont excellents et toujours dans un état neuf.

Mais en quoi est-ce une solution locale ? C’est un changement qui concerne le pays dans son ensemble et qui a pris plusieurs décennies. Les écoles que créent les groupes Colibris en France n’ont rien à voir avec les écoles finlandaises. Elles sont entièrement payantes et se désintéressent fortement des contenus d’apprentissage — l’inverse de ce qui se passe en Finlande.

Si on veut s’inspirer du modèle finlandais, ça ne peut pas être une initiative locale. Cela nécessite une volonté politique dans la durée et qui dépasse les intérêts immédiats et particuliers.

Il y a, hélas, pire. L’école finlandaise est excellente. Et pourtant, les inégalités sociales grimpent rapidement. La stagnation économique est la même qu’ailleurs. La Finlande fait la preuve non seulement que l’école ne peut pas changer la société, mais qu’un système scolaire aussi bon soit-il est incapable d’empêcher sa dégradation.

Demain s’achève par une série de vignettes euphorisantes montrant des visages irradiant le bonheur sur une musique entrainante — à ce propos relevons que toutes les chansons du film sont en anglais. Puis s’intercalent dans ces images de clip publicitaire des encarts tout aussi exaltants, du genre : « Il y a dans le monde des milliers de fermes urbaines » « 4 000 monnaies complémentaires » « le Bhoutan, un pays 100 % bio », « d’autres pays bientôt autonomes en énergie renouvelable », « un garçon de 19 ans qui a inventé une machine pour nettoyer les océans »...

Paroles de fin : « Bien sûr, on ne pourra pas promettre à nos enfants que le monde va changer du tout au tout du jour au lendemain. Mais on pourra leur promettre qu’il existe des solutions. Leur promettre que des femmes et des hommes se lèvent par milliers, tous les jours. Leur promettre que si on met toute notre énergie, si on se rassemble, on a tous le pouvoir de changer le monde. Demain. »

Et le public s’est levé dans de nombreuses salles pour acclamer, debout, ces propos. Cela fait plusieurs décennies que les gens ont abandonné les luttes collectives pour sombrer dans l’individualisme. C’est cela, la grande victoire du libéralisme et peut-être que c’est là que réside sa victoire finale. Les conséquences, on les connait. Alors, quand un pseudo documentaire vient raconter à ces gens que tout change pour le mieux et que c’est merveilleux, sans qu’ils aient à changer quoi que ce soit de leur individualisme, sans qu’ils aient à s’impliquer en quoi que ce soit, sans qu’ils aient à lever le petit doigt, alors, forcément, ça plait.

Mais dans la réalité, rien n’a changé et la situation continue à se dégrader au même rythme. Les adorateurs de Demain se réveillent avec la gueule de bois.

À eux de choisir s’ils persévèrent sur le chemin de l’individualisme et des illusions, s’ils continuent à croire aux contes de fées — au bout de ce chemin, il y a la dépression. Ou s’ils acceptent de réfléchir et de lutter — ce qui est beaucoup plus difficile et moins réconfortant dans l’immédiat.

Ce qui arrive dans la vie, c’est toujours la conséquence des choix qu’on a faits.

 (Sources : Incredible Edible, Todmorden’s vital signs, 20 juillet 2016 ; Reuters, Danish government says wind power became too expensive, 13 mai 2016 ; Bloomberg, These Are the 20 Richest Cities in America, 5 novembre 2015 ; San Francisco Chronicle, SF not as green as it thinks on garbage, 17 septembre 2016 ; Societe.com, POCHECO SAS, 5 janvier 2016 ; Transition Network, Introducing ‘International’ – and some reflections on Brexit/Bremain, 10 mars 2016 ; wikipedia, Bernard Lietaer ; wikipédia, Assemblée constituante islandaise de 2011 ; wikipedia, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson ; Icelandic Review, ‘Kitchen Day Discussion’ in Alþingi, 27 septembre 2016 ; Icelandic Review, Poll Shows Brighter Future for Bright Future, 5 octobre 2016)

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