Comprendre une société passe par la compréhension de ses institutions. Parmi ces dernières, l'un des piliers est la santé. Lorsqu'il est question de santé à l'échelle d'une société, on parle, naturellement, de santé publique. La santé publique dit toujours beaucoup de l'état d'une société parce qu'elle questionne la solidarité, la cohérence et l'efficacité des institutions.
Or la santé publique est aujourd'hui face à un double paradoxe :
Premièrement, elle pratique une sur-responsabilisation des individus et se défait de la sorte de son caractère public. Autrement dit, la santé publique s'individualise. Premier paradoxe.
Concrètement, deux phénomènes expliquent ce premier paradoxe. D'abord, il y a le retrait et le désengagement progressif des États dans les politiques de santé publique. Cela passe par exemple par le déremboursement croissant et la privatisation de certains services. Ensuite, il y a la nouvelle politique du "blâme sanitaire" (expression d'un anthropologue québécois, Raymond Massé) engagée par ces mêmes États. Il s'agit de faire de l'individu le seul responsable, donc le seul coupable, de sa santé et des conséquences potentielles de celle-ci. On commence par exemple à demander aux citoyens s'il semble légitime de prendre en charge une chimiothérapie pour un cancer du poumon concernant un fumeur invétéré, ou encore un traitement par insuline pour du diabète concernant un amateur de malbouffe.
Deuxièmement, la santé publique crée une tension entre normalisation des conduites et individualisation des responsabilités. En d'autres termes, elle tend à uniformiser les comportements et s'appuie pourtant sur la différence de chacun pour désigner les responsables : qu'est-ce qui a causé la maladie, qui prend en charge les soins, comment maitriser les répercussions sociales d'une maladie, etc. ? Deuxième paradoxe.
Le processus de mondialisation s'exprime à tous les niveaux. Tout est globalisé : l'économie, l'idéologie, les pratiques culturelles et sociales. Ceci permet de comprendre ce second paradoxe. La mondialisation, parce qu'elle véhicule un individualisme globalisé, en est responsable. D'un côté il y a un repli très fort sur les individus, mais de l'autre il y a une perte de la véritable altérité, de la différence et de l'opposition, seules garantes de la critique constructive. D'où la situation de délabrement et de "déshumanisation" de nos institutions de santé ; ces mêmes institutions qui ne souffrent d'aucune critique d'une part, le malaise des usagers de santé qui se retrouvent à intérioriser des impératifs autrefois extérieurs d'autre part. Ce dernier phénomène instaure, toujours selon le même anthropologue, une analogie entre une macro-éthique de la peur digne des régimes totalitaires et une micro-éthique de la honte digne de l'hyper-individualisme.
En réaction à ce double paradoxe, on assiste à l'émergence d'un nouveau concept qui fait beaucoup de bruit : l’holisme. Littéralement, l’holisme, du grec ancien holos qui signifie la totalité, est la prévalence du tout sur les parties. Par définition, l’holisme est opposé à l'individualisme, du latin individuum qui signifie ce qui est indivisible et qui s'intéresse aux parties plutôt qu'à la totalité.
L'holisme est le mot d'ordre, non seulement de nouvelles pratiques médicales conventionnelles, mais aussi et surtout d'un bon nombre de médecines alternatives ; médecines vers lesquelles quasiment la moitié de la population européenne se tournerait au moins une fois dans sa vie selon des études plus ou moins récentes et sérieuses. A l'origine, l’holisme est une notion sociologique. Elle désigne l'extrême inverse de l'individualisme, savoir l'étouffement de l'individu au profit de la société.
L’holisme en médecine, et particulièrement en médecine complémentaire ou alternative, s'en tient à une étymologie stricte. Il décrit une démarche de prise en charge globale — jusque là tout va bien — mais une prise en charge globale de l'individu. En pratique, l’holisme correspond à une attention pluridimensionnelle de la personne : dimension physiologique, dimension psychologique, dimension émotionnelle, etc. selon les approches. C'est la création de l’holisme individualiste.
Face aux nombreux paradoxes et aux nombreuses tensions engendrées par l'hyper-individualisme ambiant, les réactions de rejet, de fuite, de refus se multiplient. Dans le cadre médical, un excès d'individualisation appelle nécessairement à un retour à la socialisation.
Ce besoin de totalité, qui n'est certainement pas comblé par la mondialisation, se cristallise autour de la question de l’holisme. Les individus, se sentant amputés d'une partie d'eux-mêmes, veulent compenser cette perte. Mais à nouveau, le triomphe de l'hyper-individualisme crée des paradoxes et engendre des absurdités. Convaincus que le problème provient d'eux-mêmes et que la réponse à leur mal-être se trouve en eux, ils ont créé l’holisme individualiste.
Malheureusement, cette réponse individualisée n'apporte ni bonheur, ni changements durables, peut amplifier le mal-être à long terme en ce qu'elle isole davantage, ne sert ni la médecine conventionnelle, ni les médecines alternatives.
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