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Première partie, par Rémi Castérès

Qu’est-ce que l’ultralibéralisme ?

Cela ne fait que quelques décennies que le capitalisme triomphe sur toute notre planète. Autrefois, il devait composer avec l’aristocratie. Quand cette dernière a disparu, sa suprématie a été contestée par le mouvement ouvrier et par les salariés en général. Il a fallu attendre les années 1980 pour que le capitalisme domine sans partage.

L’idéologie du capitalisme a été énoncée par Adam Smith en 1776. Elle a été reprise au XXe siècle par Milton et Rose Friedman. Elle est que le marché, quand il est libre, règle tous les problèmes et apporte la paix, le bonheur et la prospérité.

 

L’ultralibéralisme, ou néolibéralisme, c’est le mouvement de destruction de tout ce qui perturbe le marché libre, qu’il s’agisse de ce qui protège les salariés (normes sociales), de ce qui protège les écosystèmes (normes écologiques) ou de ce qui protège les États (barrières douanières, etc.)

Le marché libre, c’est la rencontre d’individus libres qui passent librement des contrats entre eux, c’est-à-dire hors de toute ingérence collective (étatique ou syndicale).

Les deux faces de l’être humain

L’être humain est un animal social. Il est en même temps individu distinct des autres individus et membre d’une société ; il ne peut pas être exclusivement l’un ou que l’autre, pas plus que l’abeille ne peut exister sans la ruche ou la ruche sans les abeilles.

Le support de l’individu, c’est l’individu lui-même. Sa conscience se trouve à l’intérieur de lui, dans son cerveau.

Où se trouve le support de la société ? Il ne peut pas planer dans l’éther. Il n’y a pas un esprit de la ruche qui se baladerait au-dessus de la ruche. La ruche existe dans chaque abeille. De même, la société humaine existe dans chaque être humain.

Chaque être humain porte en lui un Moi individuel (sa psychologie et tout ce qui le distingue des autres individus) et un Moi social qui le solidarise aux autres et qui fait exister la société.

Le capitalisme et le Moi

Le capitalisme considère comme néfaste tout ce qui entrave le marché libre, les contrats libres entre des personnes libres. Par principe, il nie la partie sociale du Moi. Il est antihumain.

La fabrication du Moi

Qu’est-ce qu’un individu ? Il est ce qu’on a mis dedans pendant sa petite enfance, son éducation, ses expériences et les réflexions qu’il en a tiré. Rien d’autre.

Il n’y a pas d’âme, pas de Moi mystérieux qu’il faudrait découvrir au moyen de la méditation ou du yoga, pas de trésor enfoui au fond du cœur. Le Moi, c’est ce qui a été tissé par les soins maternels, l’éducation, les expériences, les réflexions inspirées par tout cela.

La fabrication du Moi ultralibéral

Dans le monde ultralibéral, l’individu est un électron libre que se déplace librement dans une société qui lui est extérieure. Le monde n’est qu’une gigantesque cour de récréation où il faudrait profiter de la vie.

Le Moi individuel serait la totalité du Moi et le Moi social n’existerait pas.

C’est avec cette éducation, dans les familles et dans les écoles, que sont fabriqués les individus. Ces idées sont littéralement câblées dans les cerveaux par des réseaux neuronaux. Quelques exemples de ces idées considérées comme des vérités immuables par ceux qui les portent : il ne faut pas se prendre la tête, il faut profiter de chaque instant de la vie, il faut savoir se vendre, il faut trouver le bon créneau, il faut être optimiste, il faut savoir rebondir, chaque jour est un jour nouveau, tout monde il est con sauf moi, il faut lâcher prise, on n’y peut rien, c’est comme ça…

Souffrances

Le Moi fabriqué par l’ultralibéralisme est un Moi monstrueux. La partie sociale du Moi étant lobotomisée, l’égo a pris toute la place. Cet égo manque de consistance. Il est peu alimenté par l’expérience, par les réflexions, par l’imaginaire – les gens consomment l’imaginaire produit par d’autres via la télévision, internet ou les jeux. Cet égo est pareil à un ballon de baudruche énorme et inconsistant.

Le divorce entre les promesses de prospérité et de bonheur et la réalité du monde ultralibéral provoque une première douleur. Le Moi ultralibéral empêchant de penser en dehors du cadre ultralibéral, cette impossibilité d’envisager un avenir crée de l’angoisse.

Pour en sortir, il faudrait attaquer son Moi ultralibéral, c’est-à-dire s’attaquer à son propre Moi. C’est un déchirement, une douleur atroce. Voilà pourquoi les gens préfèrent la pauvreté, la misère, le suicide plutôt que de réfléchir sérieusement.

Et la suite ?

Le système capitaliste à l’état le plus pur, comme nous le connaissons aujourd’hui pour la première fois dans l’Histoire, fait la preuve qu’il n’est pas viable. Des expédients invraisemblables, comme la création monétaire à tout va, le maintiennent artificiellement en survie.

Comme les Jeunesses Hitlériennes en 1945, mais à une échelle démultipliée, les gens seront contraints de reconstruire une partie de leur Moi. Cela ne se fera pas sans douleur mais c’est inévitable.

La réflexion collective, l’imaginaire d’une autre société, l’action collective ne peuvent pas rendre ce déchirement indolore mais au moins permettent-ils une cicatrisation plus sure et plus rapide.

 

Deuxième partie, par Anaïs

 

Le moi ultralibéral est le paradigme de notre époque

Qu’est-ce que j’entends par « paradigme » ? Je dirais qu’un paradigme est l’ensemble des croyances, tous genres confondus (religieuses, scientifiques, philosophiques, etc.) à la base de l’action, du comportement et de la structure sociale elle-même à une époque donnée. Par exemple, le paradigme en place jusqu’au XVIIe siècle était le géocentrisme. Le géocentrisme place la Terre au centre d’un univers fini. Au-delà de la Terre il y a le monde céleste (dit supra-lunaire), considéré comme un monde parfait, siège de la divinité. Le géocentrisme a pendant longtemps guidé la pensée philosophique avec l’idée d’un homme au centre du monde, la recherche scientifique avec le calcul astronomique de la distance qui sépare les astres de la terre, la foi religieuse avec un Dieu créateur d’un monde parfait donc fini et limité (l’infinitude étant jusqu’alors un signe d’imperfection). Copernic, en théorisant l’héliocentrisme, Galilée en observant les imperfections (les cratères) de la lune au moyen du télescope, ont tous deux participé à l’effondrement du paradigme géocentriste. Toute l’activité scientifique et intellectuelle a été bouleversée ; Galilée a pour sa part mal fini. De sorte que toute la pensée des deux siècles postérieurs a dû se reconstruire à partir de ce nouveau paradigme. C’est à ce moment que Descartes, entre autre, a fait de l’infinitude une perfection réservée à Dieu ; et bien d’autres changements aussi conséquents ont eu lieu.

Ce que Galilée et Copernic ont fait, c’est une « révolution ». C’est-à-dire que c’est un événement irréversible. Toute révolution fait suite à une crise, période lors de laquelle le paradigme en place se voit de plus en plus remis en cause et contesté et ce, par la mise en lumière de ses propres contradictions, inconsistances et inefficacités. Cette période de contestation est la crise d’un paradigme. Malheureusement, les changements de paradigme se sont jusqu’alors toujours vus accompagnés de violence ; c’est pourquoi c’est un épisode de l’histoire qui fait peur, donc que l’on fuit. Selon moi, l’analogie avec maintenant est frappante. Je pense que nous sommes en train de vivre un changement de paradigme ; et ça risque de faire mal.

 

Comment s’articule le paradigme du moi ultra-libéral ?

Le « moi », c’est assez compliqué à définir. Selon moi, le moi est le support de la subjectivité. Et la subjectivité est l’endroit de la pensée, de la réflexion, du comportement et de la culture ; c’est-à-dire le lieu de réception, d’accueil et de compréhension de tout ce qui vient de l’extérieur, donc du monde. Le moi fonde et détermine notre rapport au monde. Ainsi, le moi est hautement un objet de culture. Le moi, me semble-t-il, est sans cesse mis en lien avec les autres moi. Et cette liaison participe à la construction d’un moi individuel. Autrement dit, le moi est avant tout une construction collective puis une construction personnelle. De même qu’on ne voit pas sans yeux, on ne pense pas sans les autres. Par conséquent, il est davantage question d’intersubjectivité que de subjectivité lorsqu’on parle du moi. Il y a toujours ce lien d’un moi avec un autre moi ; le moi n’est pas une notion isolée qui se fabrique seul et sans matériau de base. Je suis intimement convaincue que l’homme est un animal social. C’est pourquoi le lien social définirait autant, voire plus, l’homme que la singularité qui n’est peut-être qu’accidentelle.

L’ « ultralibéral » est ce qui se rapporte à l’ultralibéralisme. Et l’ultralibéralisme est en grande partie l’héritier du libertarianisme, fondé dans les années 1970. Le libertarianisme est une version radicalisée du libéralisme politique. Pour un libertarien, la seule vérité et unité à partir de laquelle on peut penser et sur laquelle on peut agir, c’est l’individu, seul, isolé, atomisé. Cet individu doit se protéger des autres et protéger ses biens qui sont perçus comme un prolongement de sa propre personne. C’est l’idée de la propriété de soi ou « self-ownership » (que je trouve plus parlante). Le groupe est sans cesse vu comme un ennemi potentiel, un tyran. Ainsi, le libertarianisme prône un État minimal ; cet État doit proscrire toute forme d’interventionnisme en dehors de la justice pénale et de la police car, pour le reste, c’est le marché et les contrats qui s’en chargent.

Il y a dès lors une contradiction entre le moi inscrit dans l’intersubjectivité et l’ultralibéralisme défenseur de l’individu détaché du groupe. Le moi ultralibéral voudrait, et réussit, à enlever « l’inter » de l’intersubjectivité. Cette tension est source d’absurdité. Le moi ultralibéral est un paradigme, est notre paradigme, qui consiste à enlever le sens de ce qui normalement fait sens. Le sens est littéralement ce qui va vers quelque chose. Or le sens donné au moi ultralibéral ne va vers rien, et par conséquent, tombe dans l’inertie, l’apathie, l’isolement.

 

La tendance uniformisante du moi ultralibéral

Le paradigme du moi ultralibéral contient en lui-même son propre paradoxe. Selon moi, ce paradoxe repose sur la tentative de faire de l’individu la seule unité réelle et pensable d’une part, la volonté d’uniformiser ces individus d’autre part. Peut-être n’est-ce pas incompatible, mais j’ai du mal à voir comment.

Depuis les Lumières, dont le moi ultralibéral s’inspire parfois à tort ou à raison, on considère que chaque individu a, absolument parlant, les mêmes droits et les mêmes facultés. Pour ce qui est des droits, je renvoie évidemment à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Tous les individus naissent libres et égaux en droits, etc. Dans ces droits, il y a par exemple le droit à la propriété privée. Sommes-nous bien sûrs qu’il s’agisse d’un droit universel et universalisable ? Selon moi, les Lumières ont parfois oublié qu’elles avaient une légère tendance à l’occidentalocentrisme.

Pour ce qui est des facultés, c’est le moment où l’on théorise un moi transcendantal qui pense le monde à l’aide des mêmes catégories de l’Entendement. Notre rapport au monde se ferait en tout temps et en tous lieux selon un schéma identique. C’est l’uniformisation de la pensée, de l’expérience et du sentiment (notamment moral).

Je crois donc retrouver dans l’ultralibéralisme une fâcheuse manie pour l’uniformisation de ses sujets à partir de cet héritage, bafoué ou non.

 

Le moi ultralibéral, un hédonisme sans plaisir

L’hédonisme est grosso modo une philosophie qui a pour fin (au sens de terme et de but) le ou les plaisirs. C’est aussi ce qu’on appelle, à contresens, l’épicurisme. Et je pense que le paradigme du moi ultralibéral est un pseudo hédonisme. Pseudo car les plaisirs visés sont bien souvent illusoires. Illusoires car nous sommes dans une société de la virtualité. Illusoires encore car ces plaisirs ne sont pas des fins en soi mais des moyens de cacher le mal être provoqué par l’absurdité. La philosophie de l’absurde, dont l’un des hauts représentants est Camus, peut être l’objet d’un choix. En l’occurrence, la philosophie de l’absurde nous est imposée. Et c’est une grande source d’angoisse car, selon moi, l’absurde est une position très difficile à tenir sans tomber dans le désespoir.

Le paradigme du moi ultralibéral est un hédonisme sans but ; et les plaisirs ne sont que des moyens. Ainsi, on multiplie les plaisirs pour tenter de trouver des réponses. Ainsi on se livre à des expériences sensationnelles pour sentir qu’on existe encore. Ou bien on se livre à des expériences sensationnelles pour oublier qu’on existe. Je n’ai pas tranché.

Toutes les techniques de développement personnel ou de recherche de la spiritualité intérieure, le tout encadré par la mouvance New Age, sont des manifestations du moi ultralibéral. Pour palier un mal être croissant, on recherche le bien être. Or ce bien être, au lieu de le rechercher auprès et avec les autres, on le recherche en soi. Effectivement, ce mysticisme à l’occidentale n’a rien d’une rencontre avec une autre pensée qui pourrait lui faire ouvrir les yeux. Il n’est qu’un vernis sur ce qui lui est étranger. Et nombre d’occidentaux pratiquent le tourisme chamanique pour tenter de vivre ce voyage vers l’inconscient ou vers un étranger idéalisé. Bien souvent, ils reviennent traumatisés. Et pour cause ! Ils ne sont plus habitués à cette rencontre.

D’ailleurs, et sans aucune surprise, le traumatisme est lui-même devenu l’ennemi public n°1. La frayeur, une peur provoquée par un élément extérieur contrairement à l’angoisse, est totalement proscrite de nos structures sociales. De sorte qu’on est dans une politique de prévention à outrance. Un enfant n’a plus le droit de tomber dans la cour d’école par exemple. Or selon moi, la peur est un événement constitutif de la personne. La peur participe à nous faire grandir, réfléchir et avancer. Et comme on n’a plus le droit d’avoir peur, on ne réfléchit plus. La peur est transformée en angoisse ; par conséquent le problème vient de nous et non de la société. Après, on peut aisément dire que ce sont les français qui sont pessimistes. De plus, c’est un autre moyen de mettre l’individu au cœur de tout, bien comme mal.

(Pour une définition plus approfondie de la notion de paradigme, voici la référence de l’ouvrage auquel je me suis référée : Kuhn T, La structure des révolutions scientifiques.)

  • Voici des réflexions et des interrogations que le texte de Rémi et d'Anaïs m’inspire. Je vous en fais part, même si elles mériteraient d'être approfondies.

    La construction du Moi

    Si on laisse de côté ce qui relève de notre développement physiologique, pour Rémi, le Moi est "ce qui a été tissé par les soins maternels, l’éducation, les expériences, les réflexions inspirées par tout cela".
    Je souscris à cette définition du Moi.
    « Les réflexions inspirées par tout cela » ne peuvent trouver leurs origines et être conduites ailleurs que dans le cadre de ce qui a déjà été construit par notre société d’accueil.
    Nous n’avons pas les capacités de construire une grande partie de notre Moi, car nous ne pouvons pas engendrer ex nihilo une pensée.
    Notre personnalité est singulière car elle est le résultat d'un développement spécifique, mais ce n’est pas nous qui en sommes les bâtisseurs, ce sont essentiellement les autres. Notre Moi est donc reflet d’une société.
    Se connaître soi-même, ce serait en partie comprendre le monde qui nous a vus grandir et dans lequel on vit.

    Cette vision de la construction de notre Moi a plusieurs conséquences :
    - Nous sommes à l’image de la société dans laquelle on a grandi et où on vit : en partie communiste dans une société communiste, en partie capitaliste dans une société capitaliste… Si les courants de pensées se réduisent, notre Moi est de plus en plus influencé par la pensée dominante.
    - Les affirmations commençant par « L’individu...» n'ont pas de sens. Elles développent "l'étrange idée d'un Je qui existerait en l'absence d'un Nous" (expression de Giacomo Rizzolatti, neurologue qui, avec son équipe, a identifié les neurones miroirs). Qui a intérêt à faire croire que c'est l'individu qui déciderait par et pour lui-même ?
    - C'est une illusion de penser que l'on peut « se changer pour changer le monde » (titre d'un livre coécrit entre autres par Matthieu Ricard et Pierre Rabhi). Ce sont les évolutions de la société qui transforment les personnes qui la composent. D’ailleurs, ceux qui ont envie de se changer se regroupent souvent en communautés.
    - Comme ce n'est pas Moi qui peux changer les choses, j’entrevois deux façons possibles d’y arriver : l’effondrement d’une société et la mutation vers une autre (ce qui s’est passé en URSS) ou bien un Nous suffisamment puissant qui devra par la confrontation s'opposer aux autres (l’État islamique construit autour d’un Nous religieux et qui a choisi la violence pour imposer ses idées). Notons que pour l’instant, on ne sait pas où nous conduirait un effondrement car il n'y a pas d'alternative au capitalisme.

    Moi individuel
    Rémi distingue le Moi individuel (la psychologie et ce qui le distingue des autres individus) du Moi social qui le solidarise aux autres et qui fait exister la société.
    Ce Moi individuel est sans doute notre Moi égoïste qui recherche la satisfaction de ses propres désirs et qui fait passer ses intérêts avant ceux du groupe.
    Dans une société de consommateurs ce « Moi je » ou « Moi d’abord » est de plus en plus important.
    Il est impossible de vivre avec ce seul Moi tant serait grande la crainte des autres.
    Reste qu’hypertrophié, ce « Moi d’abord » est monstrueux. Nous avons tous croisé, un jour ou l’autre, au supermarché ou lors de l’anniversaire d’un ses rejetons, des enfants porteur de ce Moi. Mûs par la peur de ne pas satisfaire leurs désirs, ils ne peuvent rester en place, ils veulent tout prendre, ils hurlent quand quelque chose ou quelqu’un s’oppose à eux…
    À entendre certaines expressions, on constate bien que ce Moi individuel est un Moi construit par la société : « Ce n’est pas ma faute. », « Les autres se conduisent de la même façon. », « Je ne peux rien y faire. »…

    Moi social
    Rémi, dans un autre texte, définit le Moi social comme la part de chaque individu qui défend l’organisation sociale qui, en retour, protège l’ensemble des individus.

    Qu’est-ce que ce Moi social ?

    Est-ce que c'est notre Moi empathique, partie du Moi qui n’est pas construite par notre environnement, mais inné ?
    Nous avons en effet la capacité de nous mettre à la place des autres et de ressentir ce qu’ils éprouvent. Cette faculté, commune à d’autres espèces est un formidable outil pour élever sa progéniture, apprendre, vivre ensemble, éprouver de la sympathie... Cette capacité est sans doute la conséquence d’une adaptation particulièrement judicieuse au monde auxquels les premiers humains étaient confrontés.
    Un corollaire de cette faculté, que je n’ai pas trouvé mentionné, mais qui me paraît important, est la jalousie.

    Dans une petite communauté, égalitaire, chaque individu défendra l'organisation sociale car en retour, il se sentira protégé par le groupe : Moi empathique et Moi social se rejoignent.

    En revanche, a-t-il existé des sociétés complexes dans lesquelles tous les groupes ont trouvé un intérêt à défendre l'organisation sociale ?

    Alors qu’une poignée de privilégiés s’approprie l’essentiel des ressources, il est logique que l’organisation sociale ne soit défendue que par ceux qu’elle sert.
    En effet, quels intérêts auraient des esclaves, des pauvres, des Intouchables, à défendre une organisation sociale qui les maltraite ?
    Dans ces sociétés, il se construit un autre Moi. C’est le Moi "communautariste".
    Inévitablement des groupes se constituent autour d’intérêts communs. C’est un Moi individuel à une autre échelle.
    Ce Moi est nécessaire pour changer la société, mais il peut se révéler très dangereux.
    Il est à l’origine de bien des malheurs : guerres civiles, guerres de religion, colonialisme, conflits ethniques, nationalisme, pauvreté...

    Dans des états totalitaires, peut-on qualifier de Moi social la contrainte d’adhérer à l’idéologie imposée ?

    Y a-t-il un Moi social Amish ou n’est-ce qu’un Moi « communautariste » ?

    Peut-on concevoir un Moi social en Indonésie : 250 millions d’Indonésiens, plus de 700 langues, 17 508 îles, des cultures très différentes ?

    Comment définir un Moi social qui ne serait ni un Moi empathique ni un Moi « communautariste » ?

    J’aurais tendance à penser que le Moi social est la partie de nous-mêmes qui non pas défendrait la société, mais se consacrerait à son amélioration. Notre Moi social serait en quelque sorte notre Moi démocratique.

    Il y a des manifestations de ce Moi social.

    En France, la laïcité me paraît une bon exemple de comment ce Moi social peut se manifester : en construisant un cadre qui permet à tous les Français de vivre au mieux avec les religions. Ce qui ne veut pas dire que ce concept soit figé et ne doive pas évoluer.

    La sécurité sociale, le système de retraite par répartition sont d’autres preuves de ce Moi Social.

    Dans un système capitaliste hégémonique ne peut naître que du Moi individuel ou « communautariste » car les profits de certains se bâtissent sur l’exploitation des autres ou de la nature, il n’y a aucune justification acceptable à l’appropriation des ressources ou des biens par un petit nombre et la recherche effrénée de consommation apporte plus de frustration et de jalousie que de bonheur.

    J’ai le sentiment que la quête d’une société meilleure, qu’on retrouve dans les grandes religions, dans les écrits des Lumières ou à la fin de la seconde guerre mondiale a été abandonnée.

    Je lis régulièrement quelques revues : Books, Sciences humaines, l’Histoire.
    D'un côté, je suis impressionné par l’investissement humain dans des recherches très pointues et par le potentiel de réflexion dont certains sont capables.
    D'un autre côté, c'est un grand gâchis qu'une partie de cette richesse intellectuelle ne se consacre pas à l'amélioration de la société.

    La société actuelle étouffe notre Moi social. Ne restent que notre « Moi empathique » et des Moi « communautaristes » ou « individuels ». Notre société va donc mal et par conséquence beaucoup souffrent.

    Une amélioration ne se fera pas par magie. Chercher des solutions collectives est une étape indispensable.

    Malheureusement, si ceux qui en sont encore capables ne réfléchissent pas ensemble à la construction d’un monde meilleur, seul un cataclysme provoquera un changement.

  • Mise au poiint

    Les réflexions de Jacques sont fort pertinentes. Avant de tenter de répondre à ses questions, je voudrais faire le point. En effet, nous avons élaboré ces idées parce que nous tentions d’éclaircir un mystère : pourquoi, dans un monde qui va aussi mal, aussi peu de gens réagissent ? Nous ne pouvions nous satisfaire des condamnations morales et des imprécations.

    Nous avons donc réfléchi en marchant. Notre production s’en ressent. Je vais essayer d’être le plus clair possible.

    L’être humain est un animal social, c’est-à-dire qu’il vit à la fois comme individu et comme partie d’une société qui le dépasse.

    Une société n’est pas une addition d’individus. Elle est différente des parties qui la composent, de la même manière que l’océan a des propriétés différentes des molécules d’eau qui le forment. Par exemple, la plupart des êtres humains vivent moins d’un siècle alors que les sociétés sont pérennes.

    La société est protectrice. En dehors d’elle, l’individu isolé est condamné.

    Mais, si elle est autre chose qu’eux, la société n’existe pas en dehors des êtres qui la composent. Il faut bien que chaque individu porte un désir de société pour que la société existe.

    La personnalité de chaque être humain — ce que l’on appelait autrefois l’âme — est donc double. Une part prend soin de soi-même et de ses enfants, c’est l’égo. Une autre part prend soin de la société, c’est ce qui a été appelé ici Moi social et que l’on considère généralement comme l’altruisme. L’égoïsme et l’altruisme ne s’opposent donc pas mais se complètent.

    Une telle affirmation semble stupéfiante : on oppose toujours égoïsme et altruisme. Pourquoi ?

    « L’idéologie dominante est celle de la classe dominante. » (Marx)

    Depuis un quart de siècle, le capitalisme domine sans plus aucune contestation. La représentation de l’humanité est donc la représentation que s’en fait le capitalisme.

    Le crédo de ce dernier, c’est l’individu libre sur le marché libre. Il conteste et détruit tout ce qui s’oppose à la “libération” des individus : les corporations, les syndicats, les États. La société est remplacée par le marché qui, selon la doctrine, s’autorégule et alloue le plus efficacement les ressources. La santé, l’éducation, la police, l’armée, la justice sont progressivement privatisées.

    Pour l’individu, la société, c’est devenu “les autres”. L’État, la patrie deviennent des mots creux. Il ne reste plus que « moi et les autres ».

    Le Moi social ne s’applique plus à un organisme dont on ferait partie ; il n’est plus que dévouement à l’égard des autres. Dès lors, égoïsme et altruisme s’opposent. Cette opposition n’a rien d’éternel ; elle ne provient que de la représentation capitaliste du monde.

    Une première conséquence du dévoiement du Moi social vers “les autres”, c’est que, quand il se manifeste, il prend toujours un caractère caritatif. Il est incapable de penser la société dans son ensemble.

    Une deuxième conséquence, c’est que rien que l’idée de s’impliquer politiquement provoque de l’épuisement : faire tout ça « pour les autres » ! C’est la raison pour laquelle, si nos propositions intéressent, nos interlocuteurs hésitent entre l’admiration pour notre dévouement et nous prendre pour des cons.

    http://alternatives-democratiques.fr/images/documents/Moi_dans_la_Societe.png
    Dans un monde normal, agir pour soi et agir pour la société vont dans le même sens.

    http://alternatives-democratiques.fr/images/documents/Moi_sans_la_Societe.png
    Dans la conception capitaliste du monde, égoïsme et altruisme s’opposent.

  • L’être humain est un animal social, c’est-à-dire qu’il vit à la fois comme individu et comme partie d’une société qui le dépasse.

    J'ai du mal à comprendre comment l’être humain peut à la fois vivre comme individu et comme partie d’une société qui le dépasse.
    Chacun individu a une personnalité différente, fruit entre autres de son éducation et de ses réflexions, mais tous ses actes sont sociaux.
    Comme tu l’as souligné, « l’individu isolé n’existe pas » et « chaque animal social fait société ». L’être humain ne peut être « animal asocial » et vivre comme individu sans faire partie de la société.
    Pourquoi ne pas dire que l’être humain ne vit que comme partie de la société ?

    La société est protectrice. En dehors d’elle, l’individu isolé est condamné.

    Les sociétés sont protectrices et souvent destructrices pour certains de leurs membres, pour les autres sociétés et pour l'environnement.

    Il faut bien que chaque individu porte un désir de société pour que la société existe.

    Je ne crois pas.
    L’abeille sociale n’a pas plus un désir de ruche que l’abeille solitaire.
    Vivre en société ne relève ni du désir ni du choix.

    La personnalité de chaque être humain — ce que l’on appelait autrefois l’âme — est donc double.
    Une part prend soin de soi-même et de ses enfants, c’est l’égo. Une autre part prend soin de la société, c’est ce qui a été appelé ici Moi social et que l’on considère généralement comme l’altruisme. L’égoïsme et l’altruisme ne s’opposent donc pas mais se complètent.


    Cette manière de présenter la personnalité humaine est réductrice.
    S’ils n’existaient que l’égo et le Moi social qui est la part qui prend soin de la société, comment expliquer les guerres civiles ?

    La façon de prendre soin de soi-même et de ses enfants est une création sociale. Pourquoi distinguer la part qui prend soin de sa famille de la part qui s’occupe de la société ? Je prends bien soin de la société quand je prends soin de ma famille.

    Pourquoi dissocier cet égo (moi familial) du Moi social, et où arrêter le Moi familial ?
    Si ce que j’ai écrit plus haut n’est pas faux, c'est-à-dire que l’individu ne vit que comme partie de la société, la personnalité de chaque être humain n’est pas double.

    La personnalité ne serait qu’un Moi « sociétal » qui réunirait Moi familial, Moi social (comme tu l’entends), Moi moral, Moi religieux, Moi de classe, Moi professionnel, Moi artistique… orchestré par la (ou ma) pensée. Je ne sais pas dans quelle mesure notre pensée est vraiment la nôtre. Cette pensée ferait office de « Je ».

    Une telle affirmation semble stupéfiante : on oppose toujours égoïsme et altruisme. Pourquoi ?

    Cela vient de la façon de concevoir ou de présenter notre personnalité : Moi et les autres.
    Il faut bien que la classe dominante justifie ses privilèges. Si certains ont plus de pouvoir, d’argent que d’autres, c'est qu’ils possèdent un Moi "spécial".

    Si notre personnalité, c’est " Les autres en Moi " et la pensée pour comprendre et agir sur le monde il devient très difficile de justifier les discriminations.

    Si, comme je le pense, nous n’avons qu’un Moi sociétal, cette opposition n’a plus lieu d’être : le Moi familial peut être altruiste ou égoïste, comme tous les autres Moi. Les très riches se jugent sans doute très altruistes.

    Quand la société va relativement bien et n’est pas menacée, "Les autres en Moi" suffisent : il en va ainsi de la vie de la ruche.

    Quand la société va mal ou est menacée, "Les autres en Moi" ne suffisent plus, la pensée est nécessaire pour essayer de comprendre et changer les choses avant la catastrophe. C’est l’absence de « Je » qui est inquiétante.

    Nous ne réagissons pas à la dégradation de la société parce que nous nous dégradons avec elle. Nous sommes la société.
    Quel contraste entre la représentation du travail d'un demi-vieux comme moi né il y a 55 ans et quelqu’un de 20 ans !
    Avec le recul, j’ai l’impression d’avoir été dans une fourmilière. Ça travaillait de partout, en ville, à la campagne. J’ai été construit avec l’image de travailleurs qui luttent, d’usines qui fument, de syndicats puissants, de lien social au travail…
    Quand j’ai débuté comme instituteur à Vénissieux, je me suis syndiqué sans réfléchir car quasiment tous les enseignants étaient syndiqués, alors que je ne m’étais jamais intéressé à la politique.
    À quand remonte la dernière grande victoire des travailleurs ?
    Comment peut-on intégrer que se mobiliser peut changer les choses ? Mai 68 est bien loin, le parti socialiste a installé l’ultralibéralisme et quand il y a mobilisation, cela ne change pas grand chose, comme en Égypte ou en Grèce.

    Je termine avec une très belle réflexion de Nizan qui ouvre le livre des époux Pinçon. Elle date des années 30.

    « Travaillant pour elle seule, exploitant pour elle seule, massacrant pour elle seule, il est nécessaire [à la bourgeoisie] de faire croire qu’elle travaille, qu’elle exploite, qu’elle massacre pour le bien final de l’humanité. Elle doit faire croire qu’elle est juste. Et elle-même doit le croire. M. Michelin doit faire croire qu’il ne fabrique des pneus que pour donner du travail à des ouvriers qui mourraient sans lui »
    Citation de Paul Nizan qui ouvre le livre de Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, La violence des riches, Chronique d’une immense casse sociale, Éditions Zones / La découverte

  • Chaque être humain prend soin de son corps, rêve, rêvasse… Tout comme les chats, qui ne sont pas des animaux sociaux. Il existe bien un Moi individuel ou égo qui n’est pas réductible à la société.

    Nous vivons sous le régime du capitalisme triomphant qui, par principe, réduit ce qui est collectif à une addition d’individus et réduit la vie sociale à une activité caritative.

    Mais nous avons connu au XXe siècle d’autres régimes qui ont nié comme tu le fais l’existence du Moi individuel ; ce sont les régimes totalitaires hitlérien, stalinien ou maoïste.

    Ces deux négations aboutissent à des catastrophes.

    Beaucoup d’entités ont une double nature, qui se complète ou qui s’oppose, comme la valeur est à la fois valeur d’échange et valeur d’usage, ou comme le docteur Jekyll et mister Hyde.

  • Chaque être humain prend soin de son corps, rêve, rêvasse… Tout comme les chats, qui ne sont pas des animaux sociaux. Il existe bien un Moi individuel ou égo qui n’est pas réductible à la société.

    Je ne nie pas l’existence du Moi individuel, je dis qu’il est construit par la société et non pas par l’individu.

    Si prendre soin de son corps, c’est manger, s’habiller, faire sa toilette, choisir ses loisirs… le Moi individuel se calque sur les codes sociaux.

  • Assurément, les conditions sociales ont une influence déterminante sur la façon dont se construit le Moi. Certains égos s’expriment en français, d’autres en chinois. Mais ça n’est pas parce que la même entreprise du bâtiment a construit ta maison que tu confonds la cave et le grenier.

    Distinguer le Moi individuel et le Moi social permet de comprendre que quand la prééminence est donnée à ce dernier, on va vers des sociétés totalitaires, et que quand c’est l’égo qui a l’exclusivité, on produit la monstruosité actuelle.

  • Réponses aux questions de Jacques

    Est-ce que toutes les classes sociales peuvent avoir intérêt à défendre la société ?

    La réponse est dans l’Histoire : oui. Une société n’a pas besoin d’être égalitaire pour être protectrice.

    À Sparte, en cas de danger, les hilotes étaient armés et combattaient aux côtés de leurs maitres. Ce qui les attendait si Sparte était vaincue, c’était les pillages, les viols, les meurtres et la déportation en esclavage…

    Il en allait de même chez nous pour les serfs au début du Moyen-âge. Ils admettaient facilement leur soumission au seigneur pour se réfugier dans le château en cas de raid des Vikings, des Hongrois ou des Arabes.

    Ils partageaient une représentation commune du monde et se retrouvaient dans les mêmes temples, dans les mêmes églises et assistaient aux mêmes cérémonies.

    Le Moi social dans les États totalitaires

    Que l’État soit totalitaire ou pas ne change pas grand-chose : l’État reste protecteur pour les individus. Les Russes se sont sacrifiés en masse pour défendre l’État soviétique, surtout quand ils ont compris ce qui les attendaient en cas de victoire des nazis.

    De même, beaucoup d’Allemands se sont sacrifiés en 1945 pour défendre l’Allemagne contre l’invasion soviétique. Ils savaient ce qui les attendait — et qui fut bien moins grave que redouté.

    Le Moi social amish et le Moi social communautariste

    Dans la mesure où les Amish constituent une société à part et autonome, il existe un Moi social amish.

    Il n’existe pas en France de société musulmane, djihadiste ou juive qui soit autonome, pérenne et protectrice. L’investissement du Moi social vers de tels groupes n’est dû qu’à l’effondrement de la société française qui ne joue plus son rôle protecteur et culturel pour de grandes parties de la population.

    À part ça

    Je souscris tout à fait aux réflexions de Jacques sur le fait qu’il faille comprendre le monde pour se connaitre soi-même, et comme quoi l’essentiel est aujourd’hui de penser ensemble si nous espérons éviter un cataclysme.

  • Est-ce que toutes les classes sociales peuvent avoir intérêt à défendre la société ?
    Tu as bien répondu à ma question. Je la formule autrement.
    Est-ce que les noirs qui travaillaient dans les plantations de coton en Amérique, ou les plus pauvres maintenant, avaient intérêt, au quotidien, à défendre la société ou à la changer ?

    Le Moi social dans les États totalitaires
    Beaucoup d’Allemands se sont sacrifiés en 1945 pour défendre l’Allemagne contre l’invasion soviétique. Ils savaient ce qui les attendait.

    À mon avis, les Allemands ne se sont pas sacrifiés en 1945. C’est la société nazie qui les a sacrifiés.
    Auparavant, elle avait sacrifié les Juifs qui n'avaient d'ailleurs pas intérêt à défendre la société.

    Alors que le commandement n’ignore pas que la guerre est perdue, de nombreux soldats Japonais et des civils seront sacrifiés pour rien. Les Japonais ne défendaient pas la société, leur sacrifice étant inutile.

    Dans les exemples que tu cites ce n'est pas le Moi social qui est la cause du comportement mais la propagande et la coercition exercées sur des êtres humains.

  • Sur la démarche

    Ces propositions résultent de débats que nous avons eus, au sein d’AlternativeS DémocratiqueS. Elles ont été élaborées dans l’urgence, parce qu’il fallait bien résoudre quelques mystères.

    La Deuxième crise générale du capitalisme a débuté en aout 2007, cela fait huit ans. Huit ans, ça laissait quand même du temps pour réfléchir. Huit ans après, le capitalisme n’est pas plus remis en cause dans l’opinion publique qu’au premier jour. Premier mystère.

    Deuxième mystère, encore plus grand : comment se fait-il qu’il n’y ait aucune lutte structurée d’engagée par les victimes de cette crise ? Aujourd’hui, les jeunes sont angoissés, les adultes stressés et anxieux ; pourtant, la plupart refusent même d’en parler et rien ne se passe.

    Si l’on rejette les explications ésotériques, si l’on ne se contente pas de récriminations, il fallait chercher ailleurs.

    Nous n’avons ni le temps ni les capacités pour faire un travail universitaire. Nous n’avons pas lu tous les ouvrages qui pourraient traiter de ces questions, nous n’avons pas envisagé toutes les conséquences. Simplement, nous avons eu besoin d’un outil pour continuer à penser parce que, comment mener une action politique efficace quand on ne comprend pas ce qui se passe ?

    Peut-être que ces thèses sont fausses. Pour l’instant, elles ont quelques mérites parce que... nous n’avons rien de mieux à notre disposition.

    • Ces réflexions sont publiques et ainsi soumises à la critique. Et un immense merci à Jacques d’avoir été le premier à formuler ses réflexions et ses critiques !

    • Ces réflexions me paraissent logiques et cohérentes. J’espère que des logiciens sauront découvrir les failles, s’il y en a.

    • Elles me paraissent conformes aux phénomènes observables. Elles ne sont pas basées sur le désir qu’il en soit ainsi. Elles sont d’ailleurs fort dérangeantes, pour moi aussi. Là encore, les observations contraires sont les bienvenues.

    • Elles ont un grand pouvoir explicatif. Elles ne se contentent pas de constater la situation, ce que beaucoup font, elles indiquent quel est le moteur du changement que tout le monde constate sans l’expliquer. La passivité de la population, voire sa complicité, se comprennent. On comprend aussi l’aggravation de la crise morale, la montée de la dépression généralisée, la fuite dans les mondes virtuels, l’engagement de certains dans le jihad, etc.

    • Elles sont vérifiables. Elles prédisent une montée irrésistible des troubles psychologiques, des pathologies graves, des suicides, de l’isolement et de la vulnérabilité des individus, une régression culturelle et intellectuelle.

    ~

    Afin d’éviter une trop grande dispersion de la réflexion, je ne répondrai ici (ou tenterai de répondre, ou admettrai les erreurs…) que sur les questions fondamentales concernant la cohérence, les observations, les prédictions et les vérifications.

    Je reporte les discussions sur des points d’histoire dans le forum, où une rubrique dédiée a été ouverte. Non que ces questions soient sans intérêt, au contraire — et le diable est souvent dans les détails. Mais répondre sérieusement aux questions sur les esclaves noirs aux États-Unis ou sur les Allemands en 1945 nécessitera pour moi de relire plusieurs ouvrages et je ne promets rien avant plusieurs semaines.

    À ceux qui sont impatients, je recommande vivement la lecture de La Fin Allemagne 1944-1945 d’Ian Kershaw (Le Seuil, 2012). On trouvera également des indications intéressantes sur la situation des esclaves aux États-Unis dans La Guerre de Sécession de John Keegan (Perrin, 2011).

  • Je vais essayer modestement d’apporter un point de vue complémentaire dans cette réflexion essentielle sur notre construction. Je crois que nous évoluons depuis toujours dans un champ relationnel comprenant les individus et des entités émergentes qui les dépassent, le long de lignes de force propres à l’intelligence humaine et fondant une base commune respectée par toute société.

    Nos ancêtres évoluaient dans un monde qui nous parait aujourd’hui étrange. Chasseurs-cueilleurs, ils nomadisaient sur des territoires d’une surface en relation avec leur potentiel à nourrir les groupes d’individus agrégés par les relations familiales procédant de notre état d’animaux sociaux. Ces groupes où tout le monde connaissait tout le monde ne comprenaient au plus que deux ou trois cent individus pour les plus fournis.

    Leur cadre de vie était tel que seul un regroupement d’individus garantissait leur survie et leur pérennité. Nos ancêtres devaient faire face à la peur de la famine, des animaux sauvages, des hordes concurrentes le tout dans une nature immense et hostile.

    Avec le temps, d’autres liens sont apparus dépassant les stricts besoins des individus. Pour conjurer leur peur et la dureté de leur existence, pour donner un sens à tout cela et aller vers une explication du monde, ils se sont petit à petit imaginé une histoire mythique de leurs origines et de celles du monde. Ces cosmogonies primitives se sont ensuite complexifiées pour apparaître sous la forme de rites et de représentations artistiques.

    C’est ainsi que nous pouvons aujourd’hui, en fonction des découvertes réalisées par les chercheurs, accéder à des bribes de l’imaginaire de nos ancêtres à partir de l’observation de rites funéraires, d’artefacts ornementaux, de dessins pariétaux au réalisme renversant.

    Ces représentations dépassent de beaucoup la dimension individuelle pour accéder à l’universel par le biais d’une transcendance de la pensée. Les individus s’inscrivent dans un ensemble qui est bien plus que la somme de ses parties et dont les propriétés et les desseins n’ont rien à voir avec leur instinct de survie.

    Ces croyances ajoutées aux us et coutumes découlant de la vie quotidienne des groupes et des interactions entre individus, ont ainsi constituées les bases d’un champ relationnel, d‘un MOI social venant en complément du Moi individuel dans la structuration des personnalités. Nous sommes tous construits dans cette relation entre soi et le groupe dans la perspective d’une histoire mythique qui nous dépasse.

    Les sociétés humaines s’étant succédé au cours de l’histoire répondaient toujours à ce schéma. Jusqu’à l’avènement de l’idéologie ultralibérale.

    Cette idéologie construite sur le mythe d’une prévalence totale de l’individu libre évoluant dans le champ du marché libre et sans contraintes issues de structures sociales préexistantes, entraine parallèlement au gonflement infini des egos, une destruction sans précédent historique des liens transcendantaux entre les individus et la société où ils évoluent.

    En conséquence, il ne faut plus s’étonner de la disparition des valeurs issues des rapports humains et qui ne sont pas réductibles à une valeur marchande. La loyauté, l’honnêteté, l’empathie sont contraires aux principes du marché.

    Il en faut pas imaginer un instant que le marché va se substituer à la société comme on veut nous le faire croire. Tout ce qui a été dit plus haut démontre le contraire, une société édifiée sur une cosmogonie et des valeurs ne peut être remplacée par un marché qui n’offre en la matière qu’un grand rien. Et si tel est pourtant le cas, ce vide n’incite pas ceux qui en sont emplis à agir pour une société dont ils ont perdu les clefs. La propriété émergente du vide, c’est le vide.

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