Le général prussien Carl von Clausewitz écrivait : « La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens. » Formule reprise par Lénine : « la guerre est un simple prolongement de la politique par d’autres moyens (plus précisément par la violence). »

Mais ce n’est pas ce que cette réflexion nous dit sur la guerre que je vais m’intéresser ici. Au contraire, c’est sur ce que la guerre nous apprend de la politique.

Si l’on enlève la violence, il y aurait quasi identité entre la politique et la guerre. Que le vocabulaire politique soit émaillé d’expressions militaires n’est pas innocent : avancer en terrain miné, envoyer des sous-marins chez l’adversaire, torpiller une proposition, se battre en rase-campagne, se tenir en embuscade, etc. Or, l’Histoire militaire nous apprend des tas de choses.

Ceux qui sont les plus organisés sont toujours victorieux. À niveau d’organisation égal, aucun des adversaires ne l’emporte et les forces en présence s’érodent par attrition. Chacun des belligérants essaye alors de minimiser ses pertes en infligeant le plus de dommages possible à ses ennemis.

Comment infliger des pertes à l’ennemi en préservant autant que possible ses propres forces ? Certainement pas par la ruée stupide d’une masse vociférante. Les moyens sont variés et subtils.

• Tromper l’adversaire sur ses intentions réelles. Avant le débarquement en Normandie, les Anglais avaient disposé des tanks et des canons en caoutchouc gonflable sur la côte du Kent. Les opérations de diversion sont du même ordre : une attaque secondaire est destinée à attirer les forces ennemies, affaiblies là où sera porté le coup principal. Encore plus sophistiqué, faire croire que l’opération principale n’est qu’une opération de diversion, comme ce fut le cas pour le débarquement de 1944.

• Camoufler ses propres mouvements derrière des écrans de fumée ou du brouillard artificiel. Cela a été particulièrement utilisé dans la marine.

• Brouiller les messages de l’ennemi. En 1945, les avions de chasse allemands étaient dans l'impossibilité de communiquer avec leurs bases. À Bagdad, les troupes irakiennes ne disposaient plus de moyens de communication en 1991 comme en 2003.

• Démoraliser l’ennemi, le convaincre que le combat est inutile.

• Faire entrer chez l’ennemi des troupes qui vont l’assaillir de l’intérieur. C’est aussi vieux que le cheval de Troie.

• Une variante consiste à envoyer chez l’ennemi des troupes qui vont le désorienter. Pendant l’offensive des Ardennes, en 1944, des soldats allemands portaient des uniformes étasuniens.

• Diviser les forces de l’ennemi et les détruire en détail. C’est un grand classique de la manœuvre napoléonienne.

~

Il faut beaucoup d’innocence pour croire que la rivalité politique se déroule dans en toute franchise et que le but des politiciens serait d’assurer le bonheur du peuple. Que s’ils n’y arrivent pas, c’est parce que ça serait très difficile, trop difficile.

Pour qui veut bien ouvrir les yeux, tous les moyens énumérés ci-dessus sont utilisés dans la lutte des privilégiés contre les exploités. Je vais détailler comment.

• On se demande souvent comment une toute petite minorité de privilégiés peut imposer sa volonté à une masse d’exploités. La première réponse réside dans l’organisation. Les riches sont très organisés. Les exploités sont massivement inorganisés. La propagande des riches les a convaincus qu’être organisés, c’est être embrigadés, perdre sa liberté. Et ils y croient, ah ! ah !

Mais la disproportion numérique est telle que les riches utilisent en permanence tous les autres moyens. C’est d’ailleurs plus prudent ; car rien ne garantit pour toujours que les exploités n’aient pas l’idée de s’organiser (ou de se réorganiser, puisque c’est ainsi qu’ils avaient obtenu des victoires sociales par le passé).

• Tromper l’adversaire sur ses intentions réelles. « Mon ennemi, c’est la finance » restera emblématique d’une telle fourberie. Pour les opérations de diversion : la menace terroriste des islamistes joue très bien son rôle. S’ils n’existaient pas, il faudrait les inventer. Pour l’opération principale camouflée en opération de diversion : quand le MEDEF énonce clairement ses revendications dans son document sur “1 million d’emplois, c’est possible”, les syndicalistes rampants parlent de provocations. Il ne s’agit pas de provocations, mais d’exigences bien réelles !

• Camoufler ses propres mouvements derrière des rideaux de fumée. Par exemple, en s’en prenant à madame Merkel qui serait trop égoïste, à l’euro, qui serait trop fort.

• Brouillage de la communication. Les médias ne cessent de rabâcher que nous vivons en démocratie, à un point tel que cela semble une évidence pour tous. Il ne faut pas réfléchir longtemps pour découvrir que c’est une supercherie. La démocratie, c’est le pouvoir du peuple (vérifiez l’étymologie si vous avez un doute). Le peuple a-t-il le pouvoir ? Il est bien évident que non.

Quand j’emploie les mots “démocratie” ou “démocratique”, les gens entendent quelque chose d’autre. Le martelage de la propagande réussit à dénaturer le sens des mots, et ainsi à empêcher de penser. C’est ce qu’avait décrit Orwell avec sa novlangue dans 1984.

• Démoraliser l’ennemi, le convaincre que le combat est inutile. C’est un lieu commun. La phrase que j’entends le plus souvent, c’est « Qu’est-ce que je peux y faire ? » La réponse est implicite ; c’est une pseudo question. Une vraie question, qui attendrait une réponse, serait « Qu’est-ce que je peux faire ? » mais on en est loin. Cette démoralisation est d’autant plus amusante quand on considère la disproportion des forces en présence.

• Se faire attaquer de l’intérieur. La propagande des riches incite les exploités à “imaginer” des “solutions” qui vont en réalité aggraver leur condition, par exemple la création de monnaies locales qui permettent d’achever les derniers droits sociaux.

• Désorienter l’ennemi. Pour cela, il est deux moyens. Le premier est d’utiliser des intellectuels qui ont développé des discours superficiellement anticapitalistes pour mieux faire avaler des solutions favorables aux riches. La décroissance serait le début du bonheur nous assure aujourd'hui France Inter et ses spécialistes cousus main. Intériorisez votre misère, imaginez que c’est pour “sauver la Planète” !

Le second est de retourner les dirigeants des anciennes organisations ouvrières. Il s’agit de la corruption. Mais la corruption est loin d’être la chose simpliste que la plupart des gens imaginent. Ça n’est pas : « Tu fais ceci et je te donne une valise de billets ! » D’abord, la corruption peut être tout à fait légale ; il est même possible que la corruption illégale soit minoritaire.

Mais surtout, la corruption intelligente consiste à donner sans demander de contreparties. Ce qui est donné, c’est des places réservées dans des instances prestigieuses comme le Conseil Économique et Social. Des présidences de commissions diverses et variées, de syndicats mixtes… Des invitations à des “conférences” dans des lieux exotiques et confortables, des demandes de conseil bien rémunérées… Le tout, sans rien demander en échange (les individus en cours d’acquisition risqueraient de s’offenser). Le temps et la vanité font leur œuvre. Il est difficile d’imaginer que l’on pourrait retourner à son établi alors qu’on jouit d’un tel prestige auprès de ses amis, alors que la famille s’est habituée à un certain train de vie. Alors peu à peu, insensiblement, on se transforme en Robert Hue…

• Diviser les forces de l’ennemi. C’est un très grand classique de la manœuvre politique, qui marche toujours. Opposer les hommes et les femmes, les paysans aux ouvriers, ceux qui ont un emploi aux chômeurs, les retraités aux jeunes…

~

La panoplie des moyens d’intoxication et de manipulation est immense. Ces moyens sont devenus si sophistiqués et se sont tellement perfectionnés qu’ils passent inaperçus. Il est intéressant de les repérer quand on lit, quand on écoute ou quand on regarde les médias.

Et vous, devriez-vous dire, vous qui êtes aussi un parti politique, qu’en faites-vous, comment manipulez-vous ?

Eh bien, nous essayons de faire sans…

Sans succès éblouissant non plus, il faut bien le reconnaitre. Mais utiliser de telles méthodes serait contraire à nos objectifs. On ne peut pas atteindre un but en lui tournant le dos. Notre force, c’est la multitude, et la multitude consciente de surcroit. Nous verrons bien si ça peut marcher. En tout cas, nous essayons.