La discussion devient chaude dans la salle de séjour entre les hôtes et leurs invités. La fumée bleutée qui sort du four devient visible sous le plafond. Les uns sont partisans d’ouvrir en grand la porte du four ; ainsi, disent-ils, la température diminuera et la dinde cessera de bruler. Les autres veulent maintenir la porte hermétiquement close pour confiner la fumée.

Comme l’âcre fumée pique les yeux, les partisans de l’ouverture l’emportent. Des rouleaux grisâtres s’échappent aussitôt. « Attendons un moment que ça refroidisse, déclare le maitre de maison en toussant. Ça va bientôt s’arrêter. » Cependant, rien n’y fait, et si le dégagement ralentit, il ne cesse pas pour autant.

« Nous vous l’avions bien dit ! » proclament les adeptes de la fermeture qui passent à l’action sans rencontrer d’opposition. D’abord, ils semblent avoir raison mais leur triomphe est bref. Des volutes s’échappent en sifflant par les interstices tandis que des rougeoiements inquiétants commencent à zébrer la peau carbonisée du volatile.

À personne ne vient l’idée qu’il faudrait commencer par arrêter le four.

Ce conte est terminé. Comme promis, il a été bref. Vous le trouvez idiot ? Vous avez tort. Il est inspiré par la vie réelle.

Certains économistes assurent que rien n’est plus urgent que de réduire la dette. Après, la prospérité reviendra, assurent-ils. En fait de prospérité, c’est la pauvreté et le chômage qui grimpent sans que la dette soit réduite pour autant.

« C’est une erreur funeste ! » proclament les autres. « Ce qu’il faut, c’est relancer l’économie par une politique keynésienne. » Ce qu’ils veulent dire par là, c’est que l’État doit s’endetter davantage par des chantiers publics afin de redonner de l’activité aux entreprises. Ils ne précisent pas que cette dette devra un jour être remboursée par les pauvres puisque les riches et les entreprises paient de moins en moins d’impôts, compétitivité oblige. Ils ne disent pas non plus que la politique qu’ils souhaitent est menée aux États-Unis et au Japon sans donner de résultats tangibles.

À aucun de tous ces économistes ne vient l’idée qu’il faudrait commencer par débrancher la crise, avant d’envisager comment on pourrait réparer les dégâts. La cause de la crise, et ce qui l’aggrave sans cesse, c’est l’explosion des inégalités entre les hyper riches et le reste de la population. Plus les travailleurs s’appauvrissent, plus l’économie ralentit. Il ne sert à rien que les riches s’enrichissent davantage : ils leur est très difficile de consommer davantage qu’ils ne le font déjà. Ils n’investissent pas non plus, puisque toute production nouvelle n’aurait pas de débouchés.

Tant qu’on refusera de toucher aux inégalités, la crise deviendra de plus en plus grave, avec des tempos différents selon qu’on se focalise sur la dette ou sur la relance.

Je vous accorde qu’il y a quand même une différence entre mon conte et la réalité. Dans mon conte, tous les personnages sont idiots, parce qu’ils ont tous à y perdre. Dans la réalité, la crise profite aux hyper riches et à leurs serviteurs économistes.